LES MOTS

J’ai beaucoup écrit ces trois dernières années. Internet et les réseaux sociaux donnent l’occasion de s’exprimer. Mais voilà, tout s’y écrit, tout s’y dit, vérités, contre-vérités, affabulations… Notre locution part dans tous les sens et les mots sont débridés. 

Au fur et à mesure que je rédige ce qui traverse mon esprit, au fur et à mesure que je parle de mes perceptions du monde, tout est déjà déconstruit. Le sens se perd, la vibration se dilue dans l’espace. La raison de poser les mots sur le papier interroge mon esprit. Est-ce le bon œuvre que de vouloir se montrer, s’ouvrir aux regards des lecteurs ? 

Beaucoup d’entre nous transcrivent des interviews, des conférences de libres penseurs, de femmes et d’hommes qui révolutionnent la conscience humaine. En les lisant, leurs mots me paraissent communs, sans rythme parce qu’un mot n’est rien sans l’espace où il se produit, sans le mouvement qui le porte, sans le temps qui le détermine et qui lui permet avec ces trois caractéristiques de toucher notre conscience. Mettre en écrit le verbe n’est que mettre en cage des mots, les séparer de ce qui leur donne toute autorité, toute valeur d’expression de l’intelligence.

Je suis dubitative. J’ai lu en aveugle des phrases entières rapportées par des admirateurs de certains penseurs. Rien ! Cela semble si vide ! Rapporter ne permet pas d’entendre les phrases au-delà des lignes tracées sur le papier ou sur l’écran de l’ordinateur. L’espace est diminué autour des phrases, les mots se serrent, s’étouffent sous le crayon. Peuvent-ils se transmettre ainsi ? Doivent-ils se transmettre ainsi ? Mais sans écrits, que reste-t-il ?  

Les théoriciens de notre temps nous ont laissé des vidéos, des enregistrements de conférences, même de mauvaises qualités mais si importantes quand l’oreille écoute les sons. Souvent, il n’y a rien de tout cela. Les mots couchés sur le papier par son auteur vibrent avec la ligne noire qui occupe l’espace de la page, mais quand il s’agit de copistes qui s‘emparent de la ligne tracée par ces visionnaires du temps, de l’espace et du mouvement, la couche sur un support audible pour les hommes qui cherchent leur vérité, la fréquence de la vibration change, s’altère à travers l’incompréhension de celui qui transcrit le verbe de l’autre. Un mot ne peut pas être apporté à l’écoutant sans le temps qui le construit. Et quand le temps est passé, alors le mot redevient ce qu’il est pour la plupart d’entre nous, un simple son. Il n’a alors d’expression que celle que celui qui le transmet lui donne et que celui qui le reçoit pense que l’autre lui donne. Il n’est plus intelligent, il est dépouillé de toute vibration, vierge, en attente de l’altération faite par l’autre qui croit porter une belle parole, alors qu’il ne transmet que sa parole.

Le son est important. Les mots doivent s’écouter avec les sons, ces vibrations émises par la gorge de celui qui lit ou qui interpelle. L’espace autour des mots s’élargit et porte dans l’esprit de l’écoutant des schémas que sa conscience va intégrer. La vibration que produit sa lecture se mêle avec l’énergie issue du savoir diffusé par la phrase. La conscience du lecteur s’enrichit. Il faut de préférence lire à voix haute au lieu de reproduire les sons dans son mental, car le corps doit pouvoir recueillir lui aussi la vibration transmise. En se réfléchissant dans le mental de l’homme, les mots se perdent dans son espace. A partir de la lecture sonore, le verbe atteint toutes les dimensions de vie où la conscience de l’homme s’est dispersée. Relayé par ces différentes dimensions, le mental ne peut plus s’approprier pour lui seul le verbe et ne porter à la conscience de l’homme que son seul reflet.

Ainsi, un mot intelligent reste l’œuvre de l’auteur et non du plagiaire, vibre de l’intelligence qui le traverse et ne peut se recevoir que lorsque le son produit par le mot vient frapper le tympan de l’autre, trouve une forme pour le contenir et lui faire traverser les dimensions de la conscience, la dimension mentale, émotionnelle, organique, énergétique, temporelle, égotique.
 

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